Commentaires composés à rendre au choix

Table des matières

1 : Pierre de Ronsard, 1584

2 Racine, XVIIe, Britannicus, 1669

3. Madame Bovary, Flaubert, 1857

4. Emile Zola, Le rêve, 1888

5. Ionesco, La cantatrice chauve, 1950

 

 

1 : Pierre de Ronsard, 1584

Élégie XXIV, Contre les bûcherons de la forêt de Gastine, 1584

 

Ecoute bûcheron arrête un peu le bras !

Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre (…)

I.               une dénonciation apitoyée s’appuyant sur une personnification lyrique de la nature

II.              la description d’un lieu idéal

2 Racine, XVIIe, Britannicus, 1669

 

Le tyran Romain Néron tombe amoureux de Junie une ennemie politique qu’il tient captive.

 

NERON
Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux. 

NARCISSE
Vous ! 

NERON
          Depuis un moment ; mais pour toute ma vie,
J'aime, que dis-je aimer, j'idolâtre Junie. 

NARCISSE
Vous l'aimez ! 

NERON
          Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornement, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue :
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire,
De son image en vain j'ai voulu me distraire.
Trop présente à mes yeux je croyais lui parler ;
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce :
J'employais les soupirs, et même la menace.
Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,
Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour.
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image :
Elle m'est apparue avec trop davantage :
Narcisse, qu'en dis-tu ? 

 

I.               La peinture de l’émoi amoureux

II.              La mise en scène d’une beauté captive

 

 

3. Madame Bovary, Flaubert, 1857

 

Emma, mariée à Charles Bovary, commence à sentir la déception de ses illusions de jeune fille sur le mariage.

 

Elle songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s’accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d’un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes !

Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse.

Si Charles l’avait voulu cependant, s’il s’en fût douté, si son regard, une seule fois, fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier quand on y porte la main. Mais, à mesure que se serrait davantage l’intimité de leur vie ; un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui.

La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. Il n’avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d’équitation qu’elle avait rencontré dans un roman.

Un homme, au contraire, ne devait-il pas, tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur même qu’elle lui donnait.

Chapitre 7

I l’aspect lyrique des désirs et imaginations d’Emma

III.          une description comique de la réalité du mari

 

4. Emile Zola, Le rêve, 1888

 

Angélique, jeune enfant dans la misère, a été recueillie par une famille de brodeurs vivant à côté d’une superbe cathédrale.

En dix jours, ce fut fait. Angélique couchait en haut, près du grenier, dans la chambre du 

comble, sur le jardin : et elle avait déjà reçu ses premières leçons de brodeuse. Le dimanche 

matin, avant de la conduire à la messe, Hubertine ouvrit devant elle le vieux bahut de 

l’atelier, où elle serrait l’or fin. Elle tenait le livret, elle le mit au fond d’un tiroir, en disant :

— Regarde où je le place, pour que tu puisses le prendre, si tu en as l’envie, et que tu te 

souviennes.

Ce matin-là, en entrant à l’église, Angélique se trouva de nouveau sous la porte Sainte-Agnès. Un faux dégel s’était produit dans la semaine, puis le froid avait recommencé, si rude, que la neige des sculptures, à demi fondue, venait de se figer en une floraison de grappes et d’aiguilles. C’était maintenant toute une glace, des robes transparentes, aux dentelles de 

verre, qui habillaient les vierges. Dorothée tenait un flambeau dont la coulure limpide lui 

tombait des mains. Cécile portait une couronne d’argent d’où ruisselaient des perles vives ; Agathe, sur sa gorge mordue par les tenailles, était cuirassée d’une armure de cristal. 

Et les scènes du tympan, les petites vierges des voussures semblaient être ainsi, depuis des 

siècles, derrière les vitres et les gemmes d’une châsse géante. Agnès, elle, laissait traîner un 

manteau de cour, filé de lumière, brodé d’étoiles. Son agneau avait une toison de diamants, sa palme était devenue couleur de ciel. Toute la porte resplendissait, dans la pureté du 

grand froid. Angélique se souvint de la nuit qu’elle avait passée là, sous la protection des vierges. Elle 

leva la tête et leur sourit.

 

Plan

Une description novatrice

A l’image du nouveau destin d’Angélique

 

5. Ionesco, La cantatrice chauve, 1950

Monsieur et Madame Smith, personnages d’Anglais stéréotypés, conversent : les propos banals et convenus qu’ils échangent finissent toujours par se détraquer. 

M. SMITH, toujours dans son journal – Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est mort.
Mme SMITH. – Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu’il est mort ?
M. SMITH. – Pourquoi prends-tu cet air étonné ? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi.
Mme SMITH. – Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite, mais je ne comprends pas pourquoi toi-même tu as été si étonné de voir ça sur le journal.
M. SMITH. – Ça n’y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu’on a parlé de son décès. Je m’en suis souvenu par associations d’idées !
Mme SMITH. – Dommage ! Il était si bien conservé.
M. SMITH. – C’était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne ! Il ne paraissait pas son âge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu’il était mort et il était encore chaud. Un véritable cadavre vivant. Et comme il était gai !
Mme SMITH. – La pauvre Bobby.
M. SMITH. – Tu veux dire « le » pauvre Bobby.
Mme SMITH. – Non, c’est à sa femme que je pense. Elle s’appelait comme lui, Bobby, Bobby Watson. Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l’un de l’autre quand on les voyait ensemble. Ce n’est qu’après sa mort à lui, qu’on a pu vraiment savoir qui était l’un et qui était l’autre. Pourtant, aujourd’hui encore, il y a des gens qui la confondent avec le mort et lui présentent des condoléances. Tu la connais ?
M. SMITH. – Je ne l’ai vue qu’une fois, par hasard, à l’enterrement de Bobby.
Mme SMITH. – Je ne l’ai jamais vue. Est-ce qu’elle est belle ?
M. SMITH. – Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu’elle est belle. Elle est trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas réguliers et pourtant on peut dire qu’elle est très belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre. Elle est professeur de chant.

La pendule sonne cinq fois. Un long temps.

Mme SMITH. – Et quand pensent-ils se marier, tous les deux ?
M. SMITH. – Le printemps prochain, au plus tard.
Mme SMITH. – Il faudra sans doute aller à leur mariage.
M. SMITH. – Il faudra leur faire un cadeau de noces. Je me demande lequel ?
Mme SMITH. – Pourquoi ne leur offririons-nous pas un des sept plateaux d’argent dont on nous a fait don à notre mariage à nous et qui ne nous ont jamais servi à rien ?

Court silence. La pendule sonne deux fois.

(extrait de la scène 1)

 

I.               Une mise en question des procédés traditionnels d’une scène d’exposition

 

II.              Un dialogue absurde et comique

Pour le commentaire:

 

question à poser sur le texte:

 

·      de quel siècle? quelle date? mes connaissances historiques autour de cette date, ex: les choses, 1962, 3 ans avant mai 68.

 

·      est-ce que je connais l'auteur? ex: Zola ou Balzac

 

·      quel est le thème principal du texte?

 

·      que veut démontrer l'auteur?

 

·      le fait-il directement ou par l'intermédiaire d'un personnage? ( ex: critique de la société à travers les déceptions d'Emma, ou critique directe par le narrateur dans Eugénie Grandet)

 

·      y a t il des mouvements, une évolution du passage?

 

·      genre du texte

 

·      type de texte ?le texte est-il narratif, descriptif, argumentatif?

 

·      registre dominant?

 

·      Y a t il des valeurs qui sous tendent le texte? des présupposés?

 

·      Le texte s'appuie-t-il sur une philosophie ou un manifeste?

 

 

 

 

 

Singularité du texte:

 

- les champs lexicaux

 

- situation d'énonciation : qui parle à qui? ( Roxane a Usbek..)

 

- particularités de la syntaxe: "le maitre disait a jacques qui disait a ..", imbrications, énumérations.

 

 

 

Attention:

 

- ne pas plaquer à mauvais escient des considérations sur les mouvements littéraires ou l'époque, vérifier la date de première parution du texte.

 

- lire attentivement le texte: se demander ce qu'il veut dire réellement sans avoir de préjugé sur son époque ou son mouvement littéraire: ex: un texte issu du "courant" réaliste peut être plus intéressant pour son caractère métaphorique, fantastique, imaginatif, etc.

 

- toute figure de style doit être commentée, l'oxymore, l'antithèse, la métaphore, etc n'ont pas de valeur en elles mêmes si elles ne sont pas articulées au but du texte.

 

ex:-les accumulations dans le texte de Perec illustrent la boulimie de l'acquisition chez les personnages.

 

-la métaphore du monstre pour parler de l'usine montre le danger qu'elle peut représenter pour les hommes dans Germinal

 

oute dissertation littéraire, veillez à varier les siècles, les auteurs.

Les mystères de province ?

Par Claude Duchet

Extraits d'Eugénie Grandet Un début typiquement balzacien La province et ses paradoxes Conclusion

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Extraits d'Eugénie Grandet :

Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou les ruines les plus tristes. Peut-être y a-t-il à la fois dans ces maisons et le silence du cloître et l'aridité des landes et les ossements des ruines. La vie et le mouvement y sont si tranquilles qu'un étranger les croirait inhabitées, s'il ne rencontrait tout à coup le regard pâle et froid d'une personne immobile dont la figure à demi monastique dépasse l'appui de la croisée, au bruit d'un pas inconnu. Ces principes de mélancolie existent dans la physionomie d'un logis situé à Saumur, au bout de la rue montueuse qui mène au château, par le haut de la ville. Cette rue, maintenant peu fréquentée, chaude en été, froide en hiver, obscure en quelques endroits, est remarquable par la sonorité de son petit pavé caillouteux, toujours propre et sec, par l'étroitesse de sa voie tortueuse, par la paix de ses maisons qui appartiennent à la vieille ville, et que dominent les remparts. Des habitations trois fois séculaires y sont encore solides quoique construites en bois, et leurs divers aspects contribuent à l'originalité qui recommande cette partie de Saumur à l'attention des antiquaires et des artistes. Il est difficile de passer devant ces maisons, sans admirer les énormes madriers dont les bouts sont taillés en figures bizarres et qui couronnent d'un bas-relief noir le rez-de-chaussée de la plupart d'entre elles. Ici, des pièces de bois transversales sont couvertes en ardoises et dessinent des lignes bleues sur les frêles murailles d'un logis terminé par un toit en colombage que les ans ont fait plier, dont les bardeaux pourris ont été tordus par l'action alternative de la pluie et du soleil. Là se présentent des appuis de fenêtre usés, noircis, dont les délicates sculptures se voient à peine, et qui semblent trop légers pour le pot d'argile brune d'où s'élancent les oeillets ou les rosiers d'une pauvre ouvrière. Plus loin, c'est des portes garnies de clous énormes où le génie de nos ancêtres a tracé des hiéroglyphes domestiques dont le sens ne se retrouvera jamais. Tantôt un protestant y a signé sa foi, tantôt un ligueur y a maudit Henri IV. Quelque bourgeois y a gravé les insignes de sa noblesse de cloches, la gloire de son échevinage oublié. L'Histoire de France est là tout entière. 

[…] 

La maison pleine de mélancolie où se sont accomplis les événements de cette histoire était précisément un de ces logis, restes vénérables d'un siècle où les choses et les hommes avaient ce caractère de simplicité que les moeurs françaises perdent de jour en jour. Après avoir suivi les détours de ce chemin pittoresque dont les moindres accidents réveillent des souvenirs et dont l'effet général tend à plonger dans une sorte de rêverie machinale, vous apercevez un renfoncement assez sombre, au centre duquel est cachée la porte de la maison à monsieur Grandet. Il est impossible de comprendre la valeur de cette expression provinciale sans donner la biographie de monsieur Grandet. 

Cette ouverture d'Eugénie Grandet, avec sa lenteur calculée et sa préparation minutée de l'action à venir, est exemplaire d'un modèle de début de roman inauguré par Balzac. Même s'il existe d'autres types d'entrée en matière dans La Comédie humaine, celui-ci, d'une nouveauté quelque peu provocatrice en son temps, s'est imposé au point d'être reconnu aujourd'hui comme l'une des signatures de son auteur, un élément stylistique propre. Dès la première édition d'Eugénie Grandet, dans L'Europe Littéraire du 19 septembre 1833 (voir l'histoire du texte dans la notice du roman), le début (jusqu'à l'arrivée du cousin parisien à Saumur), parut séparément sous un titre, « Physionomies bourgeoises », disparu en 1839. Il faisait suite à un  « préambule » sans titre supprimé dans Furne, (que les plus curieux iront lire dans l'édition Pléiade, tome II, p. 1025-1026). Balzac y prévenait les lecteurs « des longueurs exigées par le cercle des minuties dans lequel il était obligé de se mouvoir » et s'en justifiait, en décrétant toutes ces « observations » « nécessaires ».

Preuve s'il en était besoin, qu'il avait conscience à cette date, en 1833, à la fois d'innover et de prendre des risques, en ne satisfaisant pas d'emblée l'appétit de romanesque, d'histoire et de péripéties de ses lecteurs.

 

I. Un début typiquement balzacien

Ces pages produisent une minutieuse description du cadre de l'histoire attendue, s'attardent aux détails et diffèrent l'entrée en scène de l'héroïne et des autres personnages. Y sont fournis tous les repères spatiaux nécessaires à l'orientation du lecteur,  mais surtout des indications « d'atmosphère », la « physionomie » d'une petite ville, des silhouettes (la « fille propre, aux bras rouges », qui tricote, « le marchand qui tourne ses pouces en causant avec son voisin »,  un état des moeurs (un entrecroisement de paroles, de regards, de rapports codés, « observations, commentaires, espionnages continuels »). Les personnages de Balzac sont avant tout des êtres sociaux, consubstantiels à leur milieu. Montrer leur milieu c'est les faire comprendre.

L'ensemble est méthodiquement construit, en séquences descriptives articulées : un paysage, une rue (« chaude en été, froide en hiver »), une « vieille » ville (et son histoire), des maisons, leurs occupants, enfin la porte de la maison Grandet avant la « biographie » de celui-ci. Elles constituent des approches progressives, ponctuées d'instantanés successifs selon une technique qui anticipe sur celle du travelling au cinéma. Détour « nécessaire » : la plongée dans la durée historique, amenée par « des habitations trois fois séculaires », « l'Histoire de France est là tout entière », avec le Moyen Age, les protestants, les ligueurs et les révolutions. Le récit balzacien s'installe toujours dans une certaine épaisseur du temps. L'espace, lui, ne se livre que peu à peu et se donne à déchiffrer : après « avoir suivi les détours de ce chemin pittoresque » (l'ancienne Grand Rue de Saumur qui relie le bas et le haut de la vieille ville), gros plan sur la porte de « la maison à Monsieur Grandet » au centre d' « un renfoncement assez sombre ».

Notons que, en déclarant reproduire une « expression provinciale » pour désigner le lieu de l'intrigue, de préférence à d'autres, plus immédiates ou plus correctes (la maison Grandet, la maison de M. Grandet ou la maison des Grandet), Balzac se manifeste comme ethnologue d'un parler provincial, témoin fidèle de la langue du cru pour un public qui l'ignore. Non seulement Balzac ne dissimule pas la présence de son narrateur omniscient, mais il attire l'attention sur lui en légitimant ses interventions au nom de l'intérêt romanesque et de la nécessité d'établir ou de rétablir une logique du sens (« Il est impossible de comprendre la valeur de cette expression sans donner la biographie de M. Grandet »). Chaque événement doit avoir sa cause, et chaque cause, son principe. Faut-il souligner que pour Balzac, effets, causes et principes relèvent tous de la fiction, et donc d'une stratégie narrative qu'on voit à l'oeuvre, car elle se laisse voir et même s'exhibe ? Cela fait partie des règles de l'art balzacien. Celui-ci tend à fictionnaliser le réel, par exemple à construire une province fictive, en lui conservant la « physionomie » de la province réelle, ou plutôt d'un imaginaire de la province, historiquement défini.

 

II. La Province et ses paradoxes

En fait, l'introduction qui nous occupe semble tout autant (pour le lecteur parisien) une introduction à la Province qu'une introduction à Eugénie Grandet, même si cette visite guidée (« Entrez ?) prépare, par lecteur interposé, celle de Charles, inopinément survenu à Saumur, dont il sera dit qu'il « tombait en province pour la première fois ». Le romancier apporte et exporte tout à la fois les caractéristiques majeures de la matière provinciale. Littérairement, la chose ne va pourtant pas de soi malgré la compétence tourangelle que l'auteur se prête souvent et que la postérité a enregistrée (Balzac, né à Tours, écrivain tourangeau). Le préambule de 1833 exposait les difficultés du sujet : comment « initier à un intérêt presque muet » et comment « sonder une nature creuse en apparence » ? Il y faut « une multitude de préparations, des soins inouïs ». Ce que Balzac ne dit pas explicitement, mais que sa stratégie implique, c'est qu'il veut imposer un renversement de la lecture romanesque vers ce qui est en apparence le moins romanesque, le plus dénué de mouvement, le plus insignifiant même. Le « roman » d'Eugénie est tout entier dans l' « étroitesse » d'une rue « monstrueuse » et « tortueuse », dans la « physionomie » de la maison, et dans sa situation élevée, juste à la frontière de la vieille noblesse (sur la ligne du partage social), à la fois dans Saumur et au dehors, intégrée et marginale.

La Province est terre de paradoxes pour le romancier. Le premier est qu'elle est riche en dedans, quel que soit son aspect extérieur, riche aussi de passions, de rêves, de désirs, d'habitudes et de savoirs divers. Même son silence est plein : de secrets, de paroles. Riche aussi de son patrimoine. « Lieu de mémoire », elle résiste à l'usure du temps, par un principe d'inertie qui est sa sauvegarde : les « toits en colombage » plient mais tiennent, le sens des signes est perdu, mais les traces en demeurent. L'histoire y est partout inscrite ; c'est là que le romancier rencontre sa vérité et peut légitimement se dire historien.

Et pourtant, à l'inverse du roman parisien chargé d'événements, rien ne peut véritablement arriver dans un roman provincial, on n'y peut que passer au long d'une vie, au long des pages. Le préambule de 1833 le disait dans une formule qui donne à songer : « si tout arrive à Paris, tout passe en province ». Il s'agit pourtant de mettre en « scènes » la province, d'y construire des récits, de faire accéder le lecteur à un rythme particulier. Du temps enfermé dans de l'espace, de l'espace étiré dans le temps, telle est la Province dont la Grand-Rue en est le symbole.

On voit alors le rôle de cette introduction qui dès le début, mise sur le temps pour agrandir et dramatiser l'espace. Saumur est toute l'histoire de France, la grande Histoire, celle des règnes, des guerres et des révolutions mais aussi de l'autre, celle des moeurs du privé, du quotidien. Balzac, rappelons-le, se déclare à la fois « antiquaire » et « artiste », le début est donc aussi le rappel d'une ambition et d'un programme. La Province est un territoire expérimental, privilégié pour les « études de moeurs », qui fournit à le demande de l' « antiquaire » comme à l' « artiste », à l'un sa récolte de vieilles pierres, de graviers, de graffitis, de bois travaillé, de colombages, à l'autre sa provision de « pittoresque » (le mot, relativement nouveau à l'époque, revient plusieurs fois).

Autre paradoxe : celui du mystère ou de son absence, la province est à la fois le lieu de mystère et celui de son dévoilement obligé. Alors que le préambule de 1833 avait annoncé « des mystères habituellement dissimulés », on lit au contraire que « ces maisons impénétrables, noires et silencieuses n'ont point de mystères ». C'est, que, loi contraire mais tout aussi valide, en province, « la vie est presque toujours en plein air ». La petite ville est pleine d'yeux guetteurs, résonne de rumeurs et de  « railleries urbaines ». La « disette », comme la nomme Balzac dans Un ménage de garçon, y règne, c'est à dire les on-dit, les « vous savez la nouvelle ? », ou les « vous avez vu ? » qui peuple l'espace provincial.

D'autre part, le texte part d'un énigmatique conventionnel, circonscrit à des lieux ou des motifs obligés, pour aller à la découverte du secret « moderne », d'une énigmatisation générale du social. Les premières lignes offrent tous les éléments d'un roman gothique à l'anglaise, ce genre à la mode dans les années 1820 auquel s'apparentent plusieurs des romans sous pseudonyme du jeune Balzac : ses « cloîtres les plus sombres, [ses] landes les plus ternes ou [ses] ruines les plus tristes », ses figures monastiques, le « bruit d'un pas inconnu ». Rein de nouveau dans ce décor déjà un peu obsolète. Mais le travail du romancier « moderne », que veut être Balzac, ne consiste plus seulement à lancer le roman à la découverte d'une énigme initiale à résoudre, mais à donner à voir et à vivre les secrets multiples des êtres et des choses. A la limite, les « mystères de Province », c'est le lecteur rendu plus attentif à la nature énigmatique du réel qu'aux péripéties de la mise à jour d'un secret enfoui, qui les élaborent avec le narrateur et leur donne ainsi apparence. Tout est signe et « hiéroglyphes » « domestiques ».

La « maison à Grandet » sera exemplaire de ce régime nouveau du mystère. Elle participe d'un stéréotype provincial (car dans toute vieille ville, il y a un château, des remparts et au moins une demeure mystérieuse) et d'un rapport au secret que le roman met en oeuvre avec la complicité de la province (ailleurs, ce sera le quartier de Paris). Mais puisque tout est public, puisque tout se sait il importe d'autant plus de cacher, de dissimuler, de créer des secrets.

 

Conclusion

A y regarder de près, il n'est guère d'éléments de la description initiale qui n'ait une fonction, directe ou indirecte, immédiate ou retardée, dans le cours du roman, d'un roman qui a la « mélancolie » pour principe et qui pour l'essentiel ne quitte pas l'espace étroit, maison Grandet comprise, mis en place dans l'introduction. S'agissant d'Eugénie elle même, allégorie de la maison ou allégorisée par elle (« la maison de Saumur, maison sans soleil, sans chaleur, sans cesse ombragée, mélancolique, est l'image de sa vie », ce début prend tout son sens par la fin (l'abandon de Charles, les « plaies secrètes », qu'il anticipe, alors que depuis longtemps s'est perdu, sur le pavé de Saumur, le « bruit d'un pas inconnu », celui qui aurait pu changer le cours des choses s'il pouvait l'être.

1-   Commentaire de texte (20 points) Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1846.

 

Pour s’évader du château d’If où il est emprisonné, Edmond Dantès a pris la place de son compagnon de cellule qui vient de mourir, le vieil abbé Faria, en se dissimulant dans le sac prévu pour le cadavre.

 

On transporta le prétendu mort du lit sur la civière. Edmond se raidissait pour mieux jouer son rôle de trépassé1. On le posa sur la civière ; et le cortège, éclairé par l'homme au falot2, qui marchait devant, monta l'escalier. Tout à coup, l'air frais et âpre de la nuit l'inonda. Dantès reconnut le mistral3. Ce fut  une sensation subite, pleine à la fois de délices et d'angoisses. Les porteurs firent une vingtaine de pas, puis ils s'arrêtèrent et déposèrent la civière sur le sol. Un des porteurs s'éloigna, et Dantès entendit ses souliers retentir sur les dalles. « Où suis-je donc ? » se demanda-t-il.  « Sais-tu qu'il n'est pas léger du tout ! » dit celui qui était resté près de Dantès en s'asseyant sur le bord de la civière. Le premier sentiment de Dantès avait été de s'échapper, heureusement il se retint. « Éclaire-moi donc, animal, dit celui des deux porteurs qui s'était éloigné, ou je ne trouverai jamais ce que je cherche. » L'homme au falot obéit à l'injonction, quoique, comme on l'a vu, elle fût faite en termes peu convenables. « Que cherche-t-il donc ? se demanda Dantès. Une bêche sans doute. » Une exclamation de satisfaction indiqua que le fossoyeur avait trouvé ce qu'il cherchait.  « Enfin, dit l'autre, ce n'est pas sans peine. — Oui, répondit-il, mais il n'aura rien perdu pour attendre. » À ces mots, il se rapprocha d'Edmond, qui entendit déposer près de lui un corps lourd et retentissant ; au même moment, une corde entoura ses pieds d'une vive et douloureuse pression. « Eh bien ! le nœud est-il fait ? » demanda celui des fossoyeurs4  qui était resté inactif. « Et bien fait, dit l'autre ; je t'en réponds. — En ce cas, en route. »

Et la civière soulevée reprit son chemin.  On fit cinquante pas à peu près, puis on s'arrêta pour ouvrir une porte, puis on se remit en route. Le bruit des flots se brisant contre les rochers sur lesquels est bâti le château arrivait plus distinctement à l'oreille de Dantès à mesure que l'on avança. « Mauvais temps ! dit un des porteurs, il ne fera pas bon d'être en mer cette nuit. — Oui, l'abbé court grand risque d'être mouillé », dit l'autre — et ils éclatèrent de  rire. Dantès ne comprit pas très bien la plaisanterie, mais ses cheveux ne s'en dressèrent pas moins sur sa tête. « Bon, nous voilà arrivés ! reprit le premier. — Plus loin, plus loin, dit l'autre, tu sais bien que le dernier est resté en route, brisé  sur les rochers, et que le gouverneur nous a dit le lendemain que nous étions des fainéants. » On fit encore quatre ou cinq pas en montant toujours, puis Dantès sentit qu'on le prenait par la tête et par les pieds et qu'on le balançait. « Une, dirent les fossoyeurs.  — Deux. — Trois ! » En même temps, Dantès se sentit lancé, en effet, dans un vide énorme, traversant les airs comme un oiseau blessé, tombant, tombant toujours avec une épouvante qui lui glaçait le cœur. Quoique tiré en bas par quelque chose de pesant qui précipitait  son vol rapide, il lui sembla que cette chute durait un siècle. Enfin, avec un bruit épouvantable, il entra comme une flèche dans une eau glacée qui lui fit pousser un cri, étouffé à l’instant même par l’immersion. Dantès avait été lancé dans la mer, au fond de laquelle l’entraînait un boulet de trente-six attaché à ses pieds.  La mer est le cimetière du château d’If.

 

1 Trépassé : mort.

2 Falot : lanterne portative.

 3 Mistral : vent violent de Méditerranée.

4 Fossoyeurs : hommes chargés d’enterrer les morts.

 

Vous ferez le commentaire littéraire de ce texte en vous aidant des pistes suivantes :

1-    Une scène d’action intense et palpitante.

2-    Un personnage qui suscite émotion et admiration.

 

On attend • Un développement organisé offrant des analyses précises, étayées par des références, et construisant une réelle interprétation du texte. • Au moins deux éléments d’interprétation développés dans chaque partie.

 

On valorise • Les copies qui ont proposé des analyses pertinentes et fines. • Les copies qui ont perçu les dimensions théâtrales ou cinématographiques de cette scène romanesque.

 On pénalise • Les copies qui se contentent de paraphraser le texte. • Un contresens manifeste et majeur dans la compréhension du texte. • Un développement inorganisé. • Une succession de relevés sans interprétation. • Une syntaxe déficiente.

 

 

Pistes de correction Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1846.

. 1- Une scène d’action intense et palpitante :

Une scène palpitante.

 Le lecteur assiste à une scène d’évasion racontée dans le détail, étape par étape, grâce à une succession de verbes d’action (« on transporta », « on le posa », « les porteurs firent une vingtaine de pas », « un des porteurs s’éloigna », « on fit cinquante pas à peu près », etc.) et selon une progression rigoureuse (corps enlevé, corps transporté à l’extérieur, corps encordé, corps précipité, corps immergé). L’emploi abondant du passé simple et du discours direct contribue au rythme haletant et à la dramatisation de la scène. Quant au choix du point de vue interne, il prive le lecteur d’informations et crée par conséquent un effet d’attente et de suspense perceptible dans les interrogations angoissées : « Où suis-je donc ? » et « Que cherche-t-il donc ? ». L’évocation de sensations partielles, tactiles et auditives seulement, rend concrètes les surprises successives du personnage : « Tout à coup l’air frais et âpre de la nuit l’inonda », « Ce fut une sensation subite », « Dantès entendit ses souliers retentir », « un corps lourd et retentissant », « une vive et douloureuse pression », « Dantès se sentit lancé ».

 

Une scène qui mêle angoisse et humour noir.

 

Le romancier plonge son héros et son lecteur dans un environnement inquiétant : le lexique funèbre ponctue la page (« mort », récurrence de « civière », « trépassé », polyptote « fossoyeur-fossoyeurs », « cimetière »), et on remarque que l’extrait s’ouvre sur « le prétendu mort » mais se clôt sur « le cimetière du château d’If », transformant ainsi le trépas feint en fatale réalité. Emprisonné dans son sac mortuaire, Dantès entend des voix d’autant plus menaçantes qu’elles sont sans visage (« le nœud est-il fait ? », « Mauvais temps ! »), et il perçoit sans les identifier des sons lugubres (« le bruit des flots se brisant contre les rochers », « un bruit épouvantable »). Son inquiétude ne cesse dès lors de croître pour culminer en une épouvante saisissante ; la gradation qui le fait passer d’une « sensation subite, pleine à la fois de délices et d’angoisses » à « ses cheveux ne s’en dressèrent pas moins sur sa tête » puis à « une épouvante qui lui glaçait le cœur », rend parfaitement compte des différents paliers de terreur qu’il franchit. La peur de Dantès est d’autant plus poignante qu’elle est mise en contraste avec l’humour noir des fossoyeurs : leurs « plaisanterie[s] » (« il n’aura rien perdu pour attendre », « il ne fera pas bon d’être en mer cette nuit », « l’abbé court grand risque d’être mouillé »), tout comme l’éclat de rire des lignes 34-35, témoignent en effet de leur indifférence désinvolte, habitués qu’ils sont à côtoyer des cadavres dont ils ont avant tout hâte de se débarrasser.

 

2. Un personnage qui suscite émotion et admiration :

 

Un personnage qui suscite l’émotion. Le plan d’évasion imaginé et mis en œuvre par Dantès le condamne, chose inhabituelle pour le héros d’un roman d’aventures, à demeurer absolument passif. Il est ainsi réduit à l’immobilité : on le confond avec sa civière à la ligne 7, les fossoyeurs s’emparent de lui comme d’un vulgaire sac aux lignes 42-43, et la personnification métonymique « la civière soulevée reprit son chemin » le réifie absolument. Tant de vulnérabilité ne peut que susciter l’empathie du lecteur, qui grâce au point de vue interne, s’identifie au malheureux et partage ses affres : ses doutes (« se demanda-t-il », « se demanda Dantès »), ses souffrances (« une vive et douloureuse pression », « comme un oiseau blessé », « lui fit pousser un cri »), sa peur (polyptote « épouvante », « épouvantable »). Même le narrateur prend fait et cause pour Dantès : il se réjouit de sa retenue (« heureusement » ligne 12), et prend le lecteur à témoin de la vulgarité des fossoyeurs (lignes 15-16).

Un personnage qui suscite l’admiration.

Dantès parvient en effet à maîtriser ses moindres mouvements (« se raidissait », « il se retint ») et à ne pas révéler à ses geôliers sa présence vivante. Il ne concède « un cri » qu’à la toute fin de son plongeon. Ce sang-froid stoïque suscite d’autant plus l’admiration du lecteur que sa chute est vertigineuse et terrifiante : les hyperboles « vide énorme » et « cette chute durait un siècle » accroissent encore la distance parcourue, l’anadiplose « tombant, tombant toujours » rend le mouvement vertical interminable, la récurrence des sifflantes aux lignes 47 à 52 semble vouloir faire entendre le souffle du « vol rapide ». L’auteur s’efforce assurément de nimber Dantès d’une aura épique et mythologique : la courte phrase finale, dramatique et solennelle, sonne comme un glas célébrant le héros qui n’hésite pas à risquer la mort pour gagner sa liberté ; enfin, la comparaison à « un oiseau blessé » fait de Dantès un nouvel Icare, dont l’audace mérite de passer à la postérité.